(Jur) Portée de l’invocation du caractère pathologique de la clause d’arbitrage
Deux sociétés de droit indien concluent un contrat commercial comportant une clause compromissoire, aux termes de laquelle le siège de l’arbitrage serait situé à New Delhi et la procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). A la suite d’un différend, l’une de ces sociétés saisit la CCI d’une demande d’arbitrage et aux fins de constitution du tribunal arbitral. L’autre proteste contre l’intervention de ce centre d’arbitrage en l’absence d’accord des parties sur le règlement de la CCI.Aux termes de l’article 1466 du Code de procédure civile, étendu par l’article 1506-3 du même code à l’instance arbitrale internationale, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir.Pour accorder l’exequatur à la sentence, l’arrêt de la cour d’appel de Paris énonce d’abord que c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales, antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il convient d’apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité. Il relève ensuite que si l’une des sociétés, à la suite du dépôt par l’autre d’une requête d’arbitrage auprès de la CCI, a protesté contre l’intervention de ce centre d’arbitrage et saisi le juge d’appui, et si sa thèse, selon l’acte de mission, était que « la clause d’arbitrage prévoit la désignation du tribunal arbitral par les parties sans intervention du règlement CCI ou de tout autre règlement institutionnel », elle a clarifié sa position devant le tribunal arbitral en soutenant dans ses mémoires que la clause compromissoire, en ce qu’elle faisait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, est pathologique, qu’elle est donc inapplicable sans accord préalable des parties, ce qui prive le tribunal de pouvoir juridictionnel. L’arrêt retient encore que le moyen soulevé par la société demanderesse devant le juge de l’exequatur ne concerne que l’irrégularité de la composition du tribunal arbitral puisqu’il est soutenu que le règlement CCI serait inapplicable à la constitution du tribunal, dont les membres auraient dû être désignés, en cas de défaillance des parties, par le juge d’appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la cour de la compromissoire contradictoire avec celle qui a été soumise aux arbitres, lesquels ont uniquement été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause qui, en faisant référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, aurait été inapplicable. Il en déduit que le moyen est irrecevable.En statuant ainsi, alors que l’invocation, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emporte nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause implique un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’est pas contraire à celle développée devant celui-ci, la cour d’appel viole les textes susvisés.