(Jur) CJUE : ordonnance de référé concernant l’indépendance des juges
En 2017, la Pologne a adopté le nouveau régime disciplinaire des juges de la Cour suprême, et des juridictions de droit commun. En particulier, en vertu de cette réforme législative, une nouvelle chambre disciplinaire est instituée. Ainsi, relèvent notamment de sa compétence les affaires disciplinaires concernant les juges et, en appel, celles concernant les juges des juridictions de droit commun.Soutenue par la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, la Finlande et la Suède, la Commission demande à la CJUE, dans le cadre d’une procédure de référé, d’ordonner à la Pologne d’adopter les mesures provisoires suivantes : 1) suspendre, dans l’attente de l’arrêt de la Cour sur le recours en manquement l’application des dispositions constituant le fondement de la compétence de cette instance pour statuer, tant en première instance qu’en instance d’appel, dans les affaires disciplinaires relatives à des juges, 2) s’abstenir de transmettre les affaires pendantes à une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance et 3) communiquer à la Commission, au plus tard un mois après la notification de l’ordonnance de la Cour ordonnant les mesures provisoires sollicitées, toutes les mesures qu’elle aura adoptées afin de se conformer pleinement à cette ordonnance. Par ailleurs, la Commission se réserve le droit de soumettre une demande complémentaire visant à ce que soit ordonné le paiement d’une astreinte s’il découlait des informations notifiées à la Commission que la Pologne ne respectait pas pleinement les mesures provisoires ordonnées à la suite de sa demande en référé.La CJUE rejette, tout d’abord, les arguments de la Pologne quant à l’irrecevabilité de la demande en référé introduite par la Commission. En particulier, s’agissant de sa compétence pour ordonner les mesures provisoires en question, la Cour souligne que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union. Il incombe donc à tout État membre d’assurer que le régime disciplinaire applicable aux juges des juridictions nationales relevant de leur système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union respecte le principe d’indépendance des juges.Elle rappelle, ensuite, que les mesures provisoires ne peuvent être accordées par le juge des référés que 1) s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit et 2) si ces mesures sont urgentes, en ce sens qu’il doit être nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de l’Union représentée par la Commission, qu’elles soient édictées et produisent leurs effets dès avant la décision finale. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence.La Cour, sans se prononcer sur le bien-fondé des arguments invoqués par les parties dans le cadre du recours en manquement, constate que, eu égard aux éléments de fait mis en avant par la Commission ainsi qu’aux éléments d’interprétation, les arguments concernant le manque de garantie d’indépendance et d’impartialité de l’instance polonaise, invoqués dans le recours en manquement, apparaissent, à première vue, comme étant non dépourvus de fondement sérieux.Deuxièmement, quant à la condition relative à l’urgence, la Cour rappelle que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. En l’espèce, la Commission fait valoir que l’application des dispositions nationales litigieuses jusqu’au prononcé de l’arrêt définitif est susceptible de causer un préjudice grave et irréparable au regard du fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union.Troisièmement, la Cour examine si la mise en balance des intérêts plaide en faveur de l’octroi des mesures provisoires sollicitées par la Commission. Elle relève que l’octroi de ces mesures emporterait non pas la dissolution de l’instance polonaise ni, partant, la suppression de ses services administratifs et financiers, mais uniquement la suspension provisoire de son activité jusqu’au prononcé de l’arrêt définitif. Par ailleurs, dans la mesure où l’octroi desdites mesures impliquerait que le traitement des affaires pendantes devant la juridiction polonaise doive être suspendu jusqu’au prononcé de l’arrêt définitif, le préjudice résultant de la suspension de ces affaires pour les justiciables concernés serait moindre que celui résultant de leur examen par une instance, dont le manque d’indépendance et d’impartialité ne peut, à première vue, pas être exclu. Dans ces conditions, la Cour considère que la balance des intérêts en présence penche en faveur de l’octroi des mesures provisoires demandées par la Commission. Par conséquent, la Cour fait droit à la demande de mesures provisoires de la Commission.