(Jur) Traitements dégradants subi par un détenu
Un détenu, qui souhaitait être transféré vers un établissement pénitentiaire plus proche de sa famille, se scarifia l’avant-bras. Il fut conduit à l’infirmerie où le médecin refusa de l’hospitaliser dans une unité de soins psychiatriques comme le requérant le demandait, mais conseilla un transfert vers un autre centre pénitentiaire. En raison de son refus de regagner sa cellule, il fut placé en salle d’attente. Face à son comportement violent, le directeur décida de son transfert en quartier disciplinaire. Après des incidents et de nouvelles discussions, le détenu accepta son placement dans une cellule du quartier d’isolement en attente de son transfert vers un autre établissement pénitentiaire programmé pour le lendemain. Durant la nuit, il mit le feu à des papiers dans sa cellule. Les surveillants intervinrent avec une lance à incendie et le détenu, trempé, fut de nouveau transféré dans une cellule du quartier disciplinaire.Lors de son transfert du centre pénitentiaire de Salon-de-Provence vers celui de Varennes-le-Grand, J.M., après de nouveaux incidents, il fut pris en charge par trois surveillants. Ses pieds furent attachés avec les entraves réglementaires et il fut menotté. Comme il était uniquement vêtu d’un tee-shirt, un surveillant lui remit un drap pour se couvrir avant d’embarquer dans le fourgon. A l’arrivée au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand, il était pratiquement nu, vêtu d’un maillot de sport, le drap ayant glissé de ses épaules. Il présentait diverses contusions et prétendit avoir été victime de violences de la part des surveillants avant de quitter l’établissement de Salon-de-Provence.Le jour même une enquête de flagrance fut diligentée par le procureur de la République et confiée à la gendarmerie nationale. L’enquête préliminaire se conclut par un classement sans suite au motif que les investigations n’avaient pas permis de caractériser l’infraction. À l’issue d’une enquête administrative interne, l’enquêteur conclut à la faute disciplinaire du surveillant responsable du transfert, du fait de la tenue du requérant, vêtu seulement d’un tee-shirt et d’un drap. Le surveillant fut condamné à une exclusion temporaire de ses fonctions. Puis, l’enquête de l’inspection générale des services pénitentiaires estima que, concernant les conditions du transfert, le surveillant aurait dû attendre l’ouverture du vestiaire et la remise de vêtements avant le départ pour Varennes-le-Grand.Le détenu déposa une plainte avec constitution de partie civile pour actes de torture et de barbarie commis avec usage d’une arme par personnes dépositaires de l’autorité publique. Le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu, considérant que l’information n’avait pas permis de caractériser l’infraction dénoncée. La chambre de l’instruction confirma l’ordonnance de non-lieu. Et la Cour de cassation rejeta le pourvoi.La Cour relève qu’il n’est pas contesté que les surveillants pénitentiaires ont, à plusieurs reprises, usé de la force à l’encontre du requérant. Elle retient par ailleurs que quatre certificats médicaux différents constatent de nombreuses lésions sur l’ensemble du corps et du visage du requérant et en particulier une trace qualifiée de strangulation. Le médecin légiste conclut que les multiples lésions d’origine traumatiques relevées sont compatibles avec les déclarations du requérant. Outre les souffrances physiques que le requérant a dû supporter, la Cour considère que l’on peut retenir que le traitement auquel il a été soumis a engendré peur, angoisse et souffrance mentale.La Cour relève avec les juridictions internes que le requérant était dans un état d’extrême agitation. Sa virulence résulte des déclarations concordantes du personnel pénitentiaire et de ses actes. Néanmoins, la Cour observe que le requérant était en état de détresse psychique. La cour d’appel fait par ailleurs état de quatre tentatives de pendaison. En raison de ses troubles psychiques et de sa privation de liberté, le requérant était donc particulièrement vulnérable et cet aspect primordial doit être pris en considération dans l’analyse de la nécessité et de la proportionnalité de la force utilisée par les agents pénitentiaires.D’autre part, la Cour note que, exceptée l’intervention rendue indispensable par le risque d’incendie, il ne s’agissait pas d’interventions nécessaires pour maîtriser une personne qui constituait une menace pour la vie ou l’intégrité physique d’autres personnes. Les actions entreprises, au cours desquelles le requérant s’est vivement débattu, avaient pour but de conduire le requérant au quartier disciplinaire ou en salle d’attente en vue de son transfert.Concernant le risque d’incendie, la Cour relève que l’inspection des services pénitentiaires a elle-même jugé l’usage d’une lance à incendie disproportionné au regard de l’ampleur limitée du sinistre et de la situation qui ne présentait pas un caractère d’urgence absolue. Ce manque de discernement du surveillant a eu pour conséquence un arrosage intempestif du requérant et de son paquetage, le contraignant à passer la nuit avec pour seul vêtement un tee-shirt mouillé, générant ainsi un sentiment d’humiliation. Le responsable du transfert atteste qu’il a trouvé le requérant prostré dans la salle d’attente, à moitié nu, les mains menottées dans le dos et les pieds attachés avec du scotch. De plus, dans un courrier à sa hiérarchie, un autre surveillant fait état d’un « passage à tabac ». Au regard de ces témoignages, la Cour s’interroge sur le crédit à accorder aux déclarations des surveillants affirmant qu’ils ont fait un usage de la force strictement proportionné. Elle observe, en outre, que les différents certificats médicaux produits établissent de très nombreux hématomes et contusions sur le corps du requérant.Enfin, il n’est pas contesté que, lors de ce transfert qui a duré près de quatre heures, le requérant a été conduit du centre pénitentiaire de Salon-de-Provence vers celui de Varennes-le-Grand vêtu uniquement d’un tee-shirt et muni seulement d’un drap pour tenter de cacher sa nudité. La Cour ne doute pas qu’un tel traitement a provoqué chez le requérant des sentiments d’arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse. Ce traitement constitue un grave manque de respect pour sa dignité humaine. La circonstance qu’il n’avait pas pour but d’humilier ou de rabaisser le requérant n’exclut pas qu’il soit qualifié de dégradant et tombe ainsi également sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 3.Concernant le volet procédural, la Cour relève que des enquêtes indépendantes ont été menées avec célérité concernant les événements dénoncés par le requérant. Cependant, la Cour relève que l’enquête n’a pas mené à l’identification et à la punition des responsables des traitements inhumains et dégradants qu’elle a constatés.Elle observe à ce titre que la juge d’instruction s’est limitée à entendre les surveillants, sous le statut de témoins assistés. De l’avis de la Cour, la juge d’instruction, comme la chambre de l’instruction, semblent avoir appliqué des critères différents lors de l’évaluation des témoignages, celui du requérant étant considéré comme subjectif, à l’inverse de ceux des surveillants.À ce titre, la Cour relève que le magistrat instructeur n’a ni procédé à une confrontation entre les surveillants ayant des déclarations contradictoires ni entendu le surveillant qui, dans un courrier à sa hiérarchie, a dénoncé le « passage à tabac ». Enfin, la juge d’instruction n’a pas ordonné d’expertise médicale et technique, afin d’établir si la marque de strangulation constatée avait pu être causée ou non par l’usage normal d’un bouclier. De telles mesures étaient pourtant nécessaires pour tenter d’éclaircir les faits.Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective. Elle conclut en conséquence à la violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.