(Jur) CEDH : mère d’intention dans le cadre d’une GPA
Les requérants sont cinq ressortissants français, un couple, et trois mineurs nés en 2014.Les trois enfants sont nés au Ghana des gamètes de l’époux et d’une tierce donneuse.Établis en mai 2014 dans ce pays, leurs actes de naissance indiquent que l’épouse est leur mère et que l’époux est leur père. Ces derniers demandèrent à l’ambassade de France au Ghana la transcription des actes de naissance.En 2014, le procureur de la République de Nantes informa les époux que les enfants étant nés d’un contrat de gestation pour autrui, ce qui était prohibé par l’article 16-7 du Code civil français, il avait décidé de surseoir à la transcription des actes de naissance dans l’attente d’instructions de la chancellerie.En 2015, les époux firent assigner le procureur de la République de Nantes devant le TGI aux fins d’obtenir la transcription des actes de naissance des trois enfants. Ils obtinrent gain de cause devant le TGI, puis la cour d’appel confirma ce jugement en mars 2017.En 2018, saisie d’un pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il ordonnait la transcription des actes de naissance au titre de la filiation maternelle.La Cour ne doute pas qu’il y a en l’espèce ingérence dans le droit au respect de la vie privée des enfants requérants et que cette ingérence était prévue par la loi et poursuivait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».La Cour relève ensuite que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre les enfants requérants et leur mère d’intention par la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint. Cela ressort des arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2017 et la Cour ne voit aucune raison de douter des assurances fournies à cet égard par le Gouvernement.Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis cette date, alors que l’un des enfants avait sept ans et que les enfants deux autres avaient trois ans, soit, selon toute vraisemblance au vu du dossier, bien après la concrétisation du lien entre eux et leur mère d’intention. Or, la Cour a précisé dans un avis consultatif qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé.Toutefois, la Cour estime que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer aux enfants concernés un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent maintenant une procédure d’adoption à cette fin. Elle observe notamment qu’il résulte des éléments produits par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière et de 4,7 mois en cas d’adoption simple.Dans ces circonstances, la Cour conclut que le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissance étrangers des enfants requérants sur les registres de l’état civil français pour autant qu’ils désignent la mère d’intention comme étant leur mère n’est pas disproportionné par rapport aux buts poursuivis.Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée.Concernant l’atteinte discriminatoire alléguée au droit au respect de la vie privée des enfants requérants, la Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence. Il en résulte en particulier que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables, et qu’une différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il en résulte aussi que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement.En l’espèce, à supposer que l’on puisse considérer que les enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger et les autres enfants nés à l’étranger se trouvent dans des situations analogues ou comparables quant au lien de filiation maternelle, la différence de traitement dont il est question en l’espèce ne tient pas à ce qu’à l’inverse des seconds, les premiers ne pourraient obtenir la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte de naissance étranger. Cette différence consiste uniquement en ce que, contrairement aux seconds, ils ne peuvent à cette fin obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et doivent passer par la voie de l’adoption.Ceci étant souligné, il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation permet, en ce qu’il induit un contrôle juridictionnel, de s’assurer au regard des circonstances particulières de chaque cas qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a indiqué dans l’avis consultatif précité que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombait dans la marge d’appréciation des États et que l’article 8 ne mettait pas à leur charge une obligation générale de reconnaître ab initio un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention.En conséquence, la Cour estime qu’en tout état de cause, la différence de traitement dénoncée par les requérants repose sur une justification objective et raisonnable.