(Jur) Transfert de gamètes : le droit à devenir grand-mère n’est pas garanti par l’article 8
Le fils des Lanzmann, décédé des suites d’une tumeur cancéreuse diagnostiquée trois ans plus tôt, avait exprimé, dès l’annonce de sa maladie, son désir d’être père et d’avoir une descendance, y compris en cas de décès. Il avait ainsi procédé à un dépôt de gamètes au centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l’hôpital Cochin à Paris, avait pris contact avec un centre en Suisse et envisagé d’autres démarches de dépôt de sperme à l’étranger, qui ne purent se réaliser en raison de sa maladie.La requérante, sa mère, avait demandé le transfert des gamètes de son fils vers un établissement de santé situé en Israël mais le président du CECOS refusa de transmettre sa demande à l’Agence de la biomédecine. La requérante initia un recours en référé devant le tribunal administratif de Paris pour demander au juge de prendre toutes mesures afin de permettre l’exportation des gamètes de son fils vers cet établissement israélien, autorisé à pratiquer les PMA. Elle fit valoir que, par le refus qui lui était opposé, elle était ainsi privée de son droit d’exercer la vie privée et familiale à laquelle elle pourrait prétendre en devenant grand-mère et en assurant le respect de la volonté de son fils. Le juge du référé rejeta la requête. La requérante interjeta appel de l’ordonnance devant le Conseil d’État qui rejeta également la requête.La Cour observe que le grief de la requérante tient à l’impossibilité d’exporter les gamètes de son fils décédé et de faire pratiquer, conformément à la volonté qu’il avait exprimée, une insémination post mortem dans un État qui l’autorise, aux fins de perpétuer la mémoire de la famille Lanzmann.La Cour estime qu’il y a lieu de scinder le grief de la requérante en deux branches selon qu’elle le formule en tant que victime indirecte d’une violation de l’article 8 de la Convention au nom de son fils défunt ou en tant que victime directe privée de descendance.S’agissant de la première branche du grief, la Cour, renvoyant à son approche concernant les victimes directes et indirectes, estime que les droits revendiqués par la requérante concernent les droits de son fils défunt. Le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu’elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent qui relève de la catégorie des droits non transférables. En conséquence, la requérante ne peut se prétendre victime d’une violation de l’article 8 au nom de son fils défunt.S’agissant de la seconde branche du grief, la Cour estime qu’elle pose avant tout la question de sa compétence ratione materiae et plus précisément celle de savoir si le refus litigieux opposé à la requérante concerne sa « vie privée » ou « familiale ».La Cour rappelle que si la notion de vie privée aussi bien que celle de vie familiale recouvre le droit au respect des décisions de devenir parent au sens génétique du terme et que le droit des couples de recourir à la PMA constitue une forme d’expression de ces notions, l’article 8 de la Convention ne garantit pas le droit de fonder une famille.En l’espèce, la Cour note que les juridictions nationales ont estimé, d’une part, que l’interdiction légale de procréation post mortem était conforme à la Convention et, d’autre part, que le refus d’exportation des gamètes du fils défunt de la requérante ne portait pas atteinte à la vie privée et familiale de cette dernière. En particulier, le juge des référés a relevé que les éléments du dossier ne montraient pas que le fils défunt avait autorisé sa mère à utiliser ses gamètes aux fins d’une insémination post mortem. Il a également retenu que l’impossibilité pour la requérante d’être grand-mère ne portait pas atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Convention compte tenu des intérêts qui fondent la loi française, à savoir, au regard de l’objectif jusque-là assigné à la procréation médicalement assistée en France, remédier à l’infertilité pathologique d’un couple. En d’autres termes, le juge interne a considéré que l’impossibilité d’accéder au souhait de son fils défunt de se perpétuer par un enfant ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. La Cour n’entend pas se démarquer de cette position.Devant elle, la requérante souligne davantage les conséquences du refus litigieux quant à la perte de la mémoire de la famille Lanzmann. Aussi respectable que soit cette aspiration personnelle à la continuité de la parenté génétique, la Cour ne saurait considérer qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Celui-ci ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents.