L’Association Droit & commerce organise, le lundi 15 juin prochain à 17h, une conférence sur le thème « Les pratiques commerciales dans la crise sanitaire », qui se tiendra sous forme de webconférence. Par Frédéric Buy, professeur agrégé, Aix-Marseille Université, et avec le concours de Frédéric Lalance, avocat au barreau de Paris. Information et inscription : Isabelle Aubard, [email protected] ; Invitation webconférence
Auteur/autrice : La base Lextenso
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(JO) Covid-19 : adaptation des dispositions du décret de 1945 pris pour l’application du statut du notariat
Le décret n° 2020-694 du 8 juin 2020, publié au Journal officiel du 9 juin 2020, prévoit les adaptations transitoires, nécessaires au fonctionnement des instances notariales dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 :il reporte les dates des assemblées générales ordinaires de notaires ainsi que les dates et échéances relatives à la désignation des membres des instances représentatives de la profession notariale ;il adapte la durée de mandat des membres ainsi désignés ;il assouplit les modalités de vote et les règles de quorum tant pour la désignation des membres des instances que pour le fonctionnement de celles-ci ;et il permet aux présidents de chambre de proroger les budgets dans les conditions qu’il détermine.
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(Jur) Cession de bail : le consentement au paiement de la taxe foncière par l’ancien preneur
Une société acquiert un fonds de commerce en vertu d’un jugement ayant ordonné à son profit la cession partielle des actifs de cette société, ainsi que le transfert du bail commercial que lui avait consenti une SCI sans contrat écrit. La SCI assigne la cessionnaire en paiement d’une somme au titre de la taxe foncière pour les années courant depuis la cession.La cour d’appel de Rouen qui retient à bon droit qu’en présence d’un bail verbal, il convient de rechercher l’existence d’un accord des parties sur le transfert au preneur de la charge de la taxe foncière et relève qu’il est établi que la société bénéficiaire du bail verbal a réglé à la SCI la taxe foncière jusqu’en 2011, que la taxe 2012 avait fait l’objet d’une déclaration de créance admise par le juge commissaire et que l’administrateur judiciaire a validé le paiement de la taxe 2013, date de l’ouverture du redressement judiciaire, constate souverainement l’accord des parties au bail initial sur ce point, antérieurement à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire du preneur et en déduit exactement que la société cessionnaire est tenue de prendre en charge les taxes foncières après la cession du bail.
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(Jur) SARL : Abus de majorité et intérêt social
Il n’y a pas lieu de retenir un abus de majorité dans une SARL, lorsque le prix de la cession d’une local commercial appartenant à la société a été fixé par référence à la valeur suggérée par un notaire, supérieure à la base d’évaluation des notaires pour ce type de local, et qu’il n’est pas démontré que le prix fixé était inférieur au prix du marché : en effet, cette décision n’a pas été prise au détriment de l’intérêt social. De même ne sont pas contraires à l’intérêt social l’augmentation de capital de la société destinée à consolider les fonds propres de la société, ainsi qu’une avance de fonds faite par les associés.
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(Jur) Saisine directe ou appel devant la chambre de l’instruction ? Confusion sur le point de départ du délai
Le 28 janvier 2020, une demande de mise en liberté est formalisée par le greffe d’un établissement pénitentiaire qui y joint le courrier manuscrit de la personne mise en examen dans lequel celle-ci vise l’article 148-4 du Code de procédure pénale en précisant qu’elle n’a toujours pas été entendue par le juge. Dans un mémoire déposé devant la chambre de l’instruction, son avocat soutient que la demande de mise en liberté, transmise par erreur au juge d’instruction qui n’était pas compétent pour la traiter, a été réceptionnée tardivement au greffe de la chambre, au-delà du délai de vingt jours dont le point de départ devait être fixé au « 31 janvier 2020 ».Il se déduit des articles 148, 148-4 et 148-7 du Code de procédure pénale que le délai prévu par l’article 148, dernier alinéa, du Code de procédure pénale ne peut être considéré comme ayant été dépassé lorsque c’est en raison de mentions incomplètes quant à la juridiction destinataire que la demande de mise en liberté formée et signée par la personne mise en examen a été adressée au greffier de la juridiction saisie du dossier.Pour décider la mise en liberté de l’intéressé et son placement sous contrôle judiciaire, l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris énonce que la demande de mise en liberté de la personne mise en examen, enregistrée au greffe de l’établissement pénitentiaire, pourtant univoque, a été transmise par erreur au juge d’instruction, en lieu et place de la chambre de l’instruction.Les juges relèvent que les actes du juge d’instruction et du JLD, non régulièrement saisis, doivent être considérés comme étant sans existence légale.Les juges ajoutent qu’il résulte des dispositions combinées des articles 148 et 148-4 du Code de procédure pénale que, en cas de saisine directe sur le fondement de ce dernier texte, la chambre de l’instruction se prononce dans les vingt jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d’office en liberté.Ils en concluent que, la saisine étant du 28 janvier 2020, la cour n’a pu se prononcer dans les vingt jours de la saisine directe et que l’intéressé devait, en conséquence, être remis en liberté.Ainsi, la chambre de l’instruction méconnaît les textes et principes susvisés.En effet, selon la déclaration formalisée le 28 janvier 2020 et dûment signée par le mis en examen qui en a validé le contenu, la demande de mise en liberté a été faite au juge d’instruction saisi du dossier et transmise aussitôt au greffe de ce dernier, ainsi régulièrement saisi.En raison de l’effet dévolutif de l’appel formé contre l’ordonnance de rejet de demande de mise en liberté rendue par le JLD, régulièrement saisi par le juge d’instruction, il revenait à la chambre de l’instruction d’examiner le bien-fondé de la détention provisoire de la personne mise en examen et de statuer sur la nécessité ou non du maintien de cette mesure au regard des énonciations de l’article 144 du Code de procédure pénale.La chambre de l’instruction ne pouvait ainsi fonder sa décision de mise en liberté sur le constat du dépassement du délai de vingt jours imparti par application de l’article 148-4 du Code de procédure pénale, faute pour elle d’avoir été saisie, dans les formes exigées par l’article 148-7 du Code de procédure pénale, d’une demande directe de mise en liberté.
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Consultez les dernières mises à jour du Joly Sociétés
Cette semaine, les éléments suivants ont été mis en ligne :17 formules relatives à la fusion absorption entre deux SA à conseil d’administration avec participation de l’absorbante dans l’absorbée inférieure à 90 % (S_FF030_23 et s.), à jour du décret n° 2019-1118 du 31 octobre 2019 concernant la dématérialisation des PV et registres et du décret n° 2020-106 du 10 février 2020 relatif à des formalités de publicité légale en matière de droit commercialla nouvelle étude « Groupes de sociétés » (S_EG010) d’Isabelle Grossi
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(Jur) Activité non autorisée et indemnités indues
Un salarié en arrêt de travail est vu en situation de travail, sur son lieu de travail. La CPAM lui notifie un indu d’indemnités journalières, pour la période concernée.Selon l’article L. 323-6 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-594 du 20 décembre 2010, applicable au litige, en cas d’inobservation volontaire des obligations qu’il fixe, et au respect desquelles le service de l’indemnité journalière de l’assurance maladie est subordonné, le bénéficiaire restitue à la caisse les indemnités versées correspondantes.Pour réduire le montant de l’indu à trois fois le montant journalier des indemnités, le jugement du tribunal de Coutances constate que l’assuré a exercé une activité non autorisée durant trois journées, puis retient que l’article L. 323-6 du Code de la sécurité sociale, en ce qu’il évoque le « service de l’indemnité journalière » et précise qu’en cas de manquement le bénéficiaire restitue à la caisse « les indemnités versées correspondantes », ne vise que le jour du manquement.En statuant ainsi, alors que l’exercice par l’assuré d’une activité non autorisée faisant disparaître l’une des conditions d’attribution ou de maintien des indemnités journalières, la caisse est en droit d’en réclamer la restitution depuis la date du manquement, le tribunal viole le texte susvisé.
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(Jur) Locations de courte durée vs Ville de Paris : le bras de fer continue
La Ville de Paris a assigne en la forme des référés la propriétaire d’un appartement situé à Paris, en paiement d’une amende civile sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation, pour avoir donné en location ce local de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage, en contravention avec les dispositions de l’article L. 631-7 du même code.Aux termes de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, un local est réputé à usage d’habitation au sens de ce texte s’il était affecté à cet usage au 1er janvier1970.Il en résulte que la preuve que le local a été affecté à un usage d’habitation postérieurement à cette date est inopérante.La cour d’appel, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui sont soumis, retient souverainement, que les éléments produits par la Ville de Paris ne permettent pas d’établir que le local était à usage d’habitation au 1er janvier 1970 et, à bon droit, que la preuve d’un usage d’habitation lors de l’acquisition par la propriétaire de son appartement le 2 avril 1980 est inopérante.Elle en déduit exactement que la Ville de Paris ne peut se prévaloir d’un changement d’usage illicite au sens de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
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(Jur) Détention provisoire et contrôle judiciaire : la Cour de cassation remet de l’ordre
Il se déduit de l’article 194 alinéa 3 du Code de procédure pénale que ces dispositions ne s’appliquent pas en cas d’appel interjeté par le ministère public d’une décision de refus de prolongation de la détention provisoire, la chambre de l’instruction statuant alors en matière de détention provisoire et non de contrôle judiciaire.Méconnaît ce texte la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris qui, pour constater l’acquisition de plein droit de la mainlevée du contrôle judiciaire auquel était astreint le justiciable, énonce que la cour n’a pas été appelée à statuer dans le délai de deux mois, prévu par l’article 194, alinéas 2 et 3, du Code de procédure pénale et que la tardiveté de l’audiencement ne trouve pas son explication dans des circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service public de la justice qui ressortiraient de la procédure.Les délais du dernier alinéa de l’article 194 du Code de procédure pénale n’ayant pas été respectés, l’intéressé se trouve à bon droit remis en liberté, tout en restant placé sous les obligations du contrôle judiciaire ordonné par le JLD.
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(Jur) Responsabilité de la France pour le calvaire d’une enfant assassinée par ses parents
Une enfant, abandonnée à sa naissance, fut récupérée par sa mère un mois plus tard. Elle vécut ensuite auprès de ses deux parents et de sa fratrie. Elle fut scolarisée pour la première fois à l’âge de six ans. Elle fut portée absente de nombreux jours des diverses écoles dans lesquelles elle était inscrite successivement en raison de multiples déménagements de la famille.Dès la première année scolaire, ses enseignants consignèrent par écrit diverses lésions constatées régulièrement sur l’enfant.En juin 2008, la directrice de l’école adressa « un signalement au titre de la protection de l’enfance » au procureur de la République du Mans et au président du Conseil général. Elle s’inquiétait qu’à la suite d’un déménagement, l’enfant ne se soit pas présentée à sa nouvelle école contrairement à ses frères et à sa sœur. Elle se souciait de cette absence dans la mesure où le directeur de l’ancienne école lui avait fait part d’une suspicion de maltraitance et où elle avait reçu un dossier scolaire relatant des marques physiques constatées sur le corps de l’enfant par les institutrices de l’ancienne école.L’agent de police judiciaire dressa un procès-verbal dans lequel il conclut que, d’après l’enquête, aucun élément ne permettait de présumer que l’enfant avait été victime de maltraitance et le dossier fut classé sans suite.Le directeur et le médecin scolaire sommèrent le père d’emmener l’enfant aux urgences pédiatriques, où elle restera hospitalisée pendant un mois. Le service pédiatrique adressa une note d’information aux services sociaux et le directeur adressa une « information préoccupante » au président du Conseil général.Deux intervenantes des services sociaux se rendirent au domicile de l’enfant à différentes dates et conclurent qu’il n’y avait pas d’éléments de nature à alimenter une inquiétude particulière.En septembre 2009, le père de l’enfant signala aux gendarmes la disparition de sa fille et, à la suite du déploiement d’un important dispositif de recherche, le père finit par conduire les enquêteurs au local où se trouvait le corps de l’enfant.Les parents furent condamnés à 30 ans de réclusion criminelle et les deux associations de protection de l’enfance requérantes se constituèrent parties civiles au procès pénal puis assignèrent l’État en responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, estimant notamment qu’entre juin et octobre 2008, les services d’enquête et du parquet avaient commis une série de négligences et de manquements caractérisant une faute lourde. Elles furent déboutées de leurs demandes.Les associations requérantes invoquent les articles 2, 3, 6 et 13 de la Convention.Sur la recevabilité de la requête : L’association Innocence en Danger reconnaît que, la victime directe des violations alléguées étant l’enfant décédée, elle ne peut prétendre être une victime directe. Elle estime en revanche qu’il existe des « circonstances exceptionnelles » qui permettent de lui reconnaître la qualité pour agir en tant que représentante de l’enfant, même en l’absence de procuration et alors même que celle-ci est décédée, à l’âge de huit ans, avant l’introduction de la requête.Quant à l’association Enfance et Partage, elle rappelle qu’elle a la capacité d’ester en justice, en l’occurrence la lutte contre la maltraitance des enfants et que la mission de l’administrateur ad hoc en charge de garantir l’intérêt des mineurs est très strictement circonscrite et limitée par la représentation de ceux-ci dans le cadre de l’instruction et du procès pénal, sans qu’il soit possible d’aller au-delà. L’association expose par ailleurs que, si la tante, sœur du père coupable, s’est constituée partie civile pour pouvoir assister à l’intégralité des débats devant la cour d’assises, elle n’a jamais jugé bon de se faire assister d’un avocat ni de formuler la moindre demande de réparation d’un quelconque préjudice, dont elle estimait ne pas avoir à se prévaloir.La Cour estime, pour ce qui est des griefs formulés par les associations requérantes sous l’angle des articles 2, 3 et 6 de la Convention, que l’objet du litige réside dans la question de savoir si les autorités internes auraient dû déceler les mauvais traitements subis par l’enfant et la protéger de ces actes qui ont fini par causer son décès. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Dans la même ligne, elle estime approprié d’examiner le grief tiré de l’article 13 en combinaison avec cet article 3.La Cour estime que l’enfant peut être considérée comme relevant de la catégorie des « personnes vulnérables » qui ont droit à la protection de l’État et que les mauvais traitements qu’elle a subis de la part de ses parents tombent sous l’empire de l’article 3.Selon la Cour, par le signalement pour suspicion de maltraitance de la directrice de l’école plus d’un an avant la mort de l’enfant, les autorités ont été mises au courant de l’éventualité que qu’elle ait subi des mauvais traitements et d’un risque potentiel qu’elle en endure d’autres. Ce signalement a ainsi déclenché l’obligation positive de l’État de procéder à une investigation et d’emblée, la Cour reconnaît le difficile exercice auquel sont confrontées les autorités nationales lorsqu’elles doivent, dans un domaine délicat, trouver un équilibre entre la nécessité de ne pas passer à côté d’un danger et le souci de respecter et préserver la vie familiale.Ensuite, la Cour note la grande réactivité du procureur et aussi que, dans le cadre de cette enquête, des mesures utiles et pertinentes ont été prises, telles que l’audition filmée de l’enfant et son examen par un médecin légiste.Cependant, la Cour estime que plusieurs facteurs tempèrent la portée de ces constats. D’abord, en réponse à la réaction instantanée du parquet, un agent de police n’a été saisi que treize jours plus tard et les préconisations quant au traitement en temps réel (TTR) n’ont finalement pas été mises en œuvre. Ensuite différents signes et éléments avaient été portés à la connaissance des autorités dès le signalement du 19 juin 2008. En effet, les copies de quatre pages manuscrites rédigées par les enseignantes de l’enfant et constatant de nombreuses marques sur l’enfant avaient été jointes à ce signalement. Si ces enseignantes n’avaient certes pas été témoins des faits ayant causé les stigmates constatés, il aurait toutefois été utile de les entendre, afin de recueillir des éléments sur le contexte et la réaction de l’enfant lors de la découverte des blessures. Cela vaut d’autant plus que le médecin légiste ne pouvait exclure des faits de violence ou de mauvais traitements et que l’ASE avait en outre informé le procureur du constat de nouvelles ecchymoses apparues après le signalement. À cet égard, la Cour observe qu’en présence de signes de maltraitance d’un enfant, les enseignants peuvent jouer un rôle primordial dans le système de prévention de la violence, comme les antécédents de la présente affaire le démontrent d’ailleurs. En effet, les enseignants, qui sont parfois les seules personnes de confiance de l’enfant, et qui ont la responsabilité d’observer celui-ci de près quotidiennement, sont ainsi bien placés pour avoir une vue globale sur son développement. Sans doute aurait-il été aussi utile de procéder à des actes d’enquête afin d’apporter des éclaircissements sur l’environnement familial de l’enfant, d’autant plus qu’il y avait eu des déménagements successifs de la famille, ce qui avait d’ailleurs été porté à la connaissance des autorités par le biais notamment du signalement. La mère a été entendue de manière succincte à son domicile et non pas au sein des locaux de la gendarmerie. De plus, la présence du père lors de l’examen médicolégal de l’enfant ne saurait utilement être invoquée par le Gouvernement. En effet, une déclaration faite en tant que représentant légal de l’enfant devant un médecin expert ne saurait équivaloir à une véritable audition dans le cadre d’une enquête, lors de laquelle des questions ciblées sont posées. D’ailleurs, la Cour relève à ce sujet que le protocole départemental prévoit dorénavant que l’examen médicolégal est effectué par le médecin légiste seul avec l’enfant et que le magistrat, directeur d’enquête, pourra demander au médecin de ne prendre aucun contact avec les parents ou les proches de l’enfant.En la matière, la Cour note qu’un ensemble de bonnes pratiques, préconisées dans ce genre de situations sensibles, est désormais formalisé dans le protocole départemental. Or, faute pour le protocole d’exister au moment des faits, ces pratiques n’ont pas été mises en œuvre en l’espèce.Il est vrai que l’enfant ne dénonçait aucun fait lors de son audition. Toutefois, celle-ci a été réalisée sans la participation d’un psychologue. Or, sans être obligatoire, la présence d’un tel expert aurait pu être appropriée en l’espèce pour écarter tout doute face aux questionnements que soulevaient le signalement et le rapport du médecin légiste. À cet égard, la Cour relève que dorénavant le protocole départemental, qui prévoit que le recueil de la parole de l’enfant doit être réalisé à l’unité médico-judiciaire pédiatrique (donc au sein du service de pédiatrie), préconise de faciliter l’expression de l’enfant, notamment par la présence aux côtés de l’enquêteur ou du magistrat d’un tiers nommé par l’autorité judiciaire, tel qu’un administrateur ad hoc, un travailleur social, un psychologue ou un infirmier spécialisé.La Cour rappelle qu’il n’entre pas dans ses compétences de se substituer aux autorités nationales et d’opérer à leur place un choix parmi les mesures à prendre. Ainsi, il ne lui appartient pas de remettre en cause le classement sans suite en soi. En revanche, elle estime que, au regard des éléments dont elles disposaient – tels que le nombre fortement suspect des très nombreuses lésions rapporté par le médecin légiste, ainsi qu’un nouveau déménagement de la famille concomitamment à la clôture de l’enquête – les autorités auraient dû s’entourer de certaines précautions lorsque la décision de classer l’affaire sans suite avait été prise et non se contenter d’un classement sans suite pur et simple.Ainsi, si le parquet avait, par le biais d’un soit-transmis ou de tout autre mode de communication, même informel, informé l’ASE de sa décision tout en attirant l’attention de celle-ci sur la nécessité d’une enquête sociale ou du moins d’une surveillance à l’égard de l’enfant, il aurait accru les chances d’une réaction appropriée des services sociaux en aval du classement sans suite. Tout porte à croire que, de cette manière, l’ASE aurait redoublé de vigilance dans la période suivant le classement sans suite et, en tout cas, au plus tard lorsqu’une information préoccupante a été transmise. Cette observation est confortée par le compte rendu du Défenseur des droits qui considère que la décision de classement sans suite a posé « une chape de plomb » sur l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, qui n’avaient pas évoqué avec le parquet les nouvelles informations du printemps 2009.À ce constat s’ajoute celui d’une absence de mise en place d’un mécanisme centralisant les informations, au moment des faits, dans la région concernée. Une telle cellule de recueil aurait pu œuvrer en tant qu’interlocuteur des services du département et du parquet. Elle aurait ainsi pu informer les professionnels à l’origine du signalement du 19 juin 2008 quant à la suite qui y a été réservée, puis suivre le dossier.Les services sociaux, qui ont fini par prendre connaissance de la décision de classement sans suite, ont certes pris des mesures par la suite, par le biais notamment de visites au domicile. Toutefois, une hospitalisation de l’enfant d’une durée d’un mois entier, qui avait donné lieu à une prise de contact par le service pédiatrique avec l’ASE – motivée par les interrogations persistantes concernant la situation de l’enfant – et même à une note additionnelle adressée à l’ASE constituent un élément complémentaire, éloquent en soi, dont les services sociaux ne pouvaient raisonnablement faire abstraction. Face à ces facteurs combinés, ils auraient dû redoubler de vigilance. Or, force est de constater que, dans le sillage de la décision du classement sans suite, ils n’ont pas engagé d’action véritablement perspicace qui aurait permis de déceler l’état réel dans lequel se trouvait l’enfant.Au regard des constats opérés ci-dessus, la Cour conclut que le système a failli à protéger l’enfant des graves abus qu’elle a subis de la part de ses parents et qui ont d’ailleurs abouti à son décès.Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention. Pour ce qui est du droit à un recours effectif, la Cour rejette l’argumentation de l’association. Selon la Cour, il n’apparaît pas déraisonnable que le législateur français ait encadré la possibilité d’engager la responsabilité civile de l’État dans ce contexte particulier en exigeant une faute lourde, pouvant être constituée par une addition de fautes simples ayant entrainé un dysfonctionnement du service de la justice, dans un but de protection de l’indépendance de la justice. La Cour peut cautionner l’argument du Gouvernement selon lequel cette délimitation vise la protection de la liberté d’esprit du magistrat et la garantie d’une certaine sérénité dans l’exercice de la fonction d’enquêter et de juger, sans crainte quant à la vindicte des justiciables mécontents d’une décision. La Cour peut ainsi admettre que la mise en œuvre du régime de responsabilité civile de l’État dans un cadre limité correspond à un choix opéré par le législateur qui répond à la prise en considération de la complexité du fonctionnement de la justice et de la spécificité de la fonction juridictionnelle, y compris les activités d’enquête et de police. Elle réitère, toutefois, que conformément aux exigences de l’article 13, le choix opéré doit en tout état de cause assurer un recours effectif en pratique comme en droit.L’association requérante a été en mesure de saisir le juge judiciaire aux fins de voir ses doléances examinées quant aux manquements qu’elle reprochait aux services de police et au ministère public. Et le seul fait que l’association requérante ait été déboutée de sa demande ne constitue pas en soi un élément suffisant pour juger du caractère effectif ou non du recours en question. L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant.
